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💬 Histoires musicales

🔊 À écouter en lisant :
Grand Motet "Usquequo Domine", chœur d'ouverture (enregistré par les Arts Florissants & William Christie)

La vie romanesque d'Henry Desmarest, compositeur en exil

Un jeune musicien prometteur

Henry Du Mont

Né à Paris en 1661, dans une famille modeste de la petite bourgeoisie, Henry Desmarest passe une enfance tout d'abord assez austère, après les décès successifs de son père et de son beau-père. Il chante cependant dans les chœurs de Saint-Germain L'Auxerrois, et, à 13 ans, a la chance d'entrer au service de Louis XIV, comme page à la Chapelle Royale. Grâce à l'enseignement des excellents compositeurs Henry Du Mont (1610-1684) et Pierre Robert (1622-1699), Desmarest se révèle être particulièrement doué pour la musique. Il chante dans les tragédies lyriques de Jean-Baptiste Lully, alors surintendant de la musique royale, et profite également de son enseignement. Ses premières compositions emportent un succès immédiat auprès de ses pairs et de la cour : il devient ordinaire de la musique du roi en 1680, et ne doit son refus au poste de sous-maître de la Chapelle Royale qu'à son jeune âge.

Le premier accroc à ces débuts si prometteurs arrive cependant rapidement. Desmarest demande en effet au roi la permission de voyager en Italie pour parfaire ses connaissances, mais Lully objecte auprès du monarque que le jeune homme risque là-bas de dévoyer son art : la musique est alors un sujet fort sérieux à la cour, et les compositeurs français, Lully en tête (et plus tard Jean-Philippe Rameau), s'opposent fermement à la prédominance du style italien en Europe, soutenus par le roi lui-même, qui utilise l'art en général et la musique en particulier comme instrument politique du rayonnement de la France en Europe et dans le monde. La tradition française se démarque sur de nombreux points, dont notamment l'instrumentation : le style français utilise les basses, quintes, tailles, hautes contres et dessus de violons, instruments uniques, et voués malheureusement à disparaître aux alentours de 1730 (les quintes, tailles et hautes contres de violons seront progressivement remplacés par le violon alto). Le grand motet en particulier, s'affirme comme un des éléments du gallicanisme, et plus généralement d'une identité nationale artistique et culturelle française spécifique : il fut donc interdit à Desmarest de se rendre en Italie !

Mariage interdit, disgrâce & fuite à travers l'Europe

Après un mariage en 1689 et la naissance d'une fille, Desmarest vit – entre autres – en composant des motets pour le compte de Nicolas Goupillet (1650-1713), un de ceux qui lui avaient pourtant ravi une place de sous maître de Chapelle une dizaine d'années auparavant. Ce dernier, bien qu'excellent compositeur, est manifestement dépassé par sa charge, et commet en plus l'imprudence de cesser de rémunérer son prête-nom. Le subterfuge est alors éventé, Goupillet est démis de ses fonctions par le roi (qui ne se montre par ailleurs pas revanchard avec l'intéressé, puisqu'il lui octroie quand même une pension). Desmarest n'est toutefois pas récompensé pour son coup d'éclat, bien au contraire, et c'est Michel-Richard De Lalande (1657-1726) qui est nommé à la place de Goupillet.

En 1696, l'épouse de Desmarest meurt : l'année suivante, il échange une promesse de mariage avec Marie-Marguerite de Saint-Gobert, la fille du médecin de Gaston d'Orléans (oncle de Louis XIV). Le sieur de Saint-Gobert n'entend pas la chose de cette oreille, et interdit ce mariage. Malgré cela, un an plus tard, Marie-Marguerite, alors âgée de 20 ans, donne naissance à un enfant : furieux, son père intente contre Desmarest un procès pour séduction et rapt. Pour échapper à la justice, Desmarest s'enfuit avec sa toute jeune famille à Bruxelles : il est condamné par contumace en 1700, et son effigie est pendue en place de Grève !

À Bruxelles, le couple obtient la reconnaissance du mariage, et l'enfant est baptisée. La marraine n'est d'ailleurs autre qu'Olympe Mancini, nièce du cardinal de Mazarin, qui fut autrefois courtisée par le jeune Louis XIV, avant d'être bannie pour avoir un peu trop conspiré, et surtout pour avoir été compromise dans la retentissante « affaire des poisons »…

En 1701, Desmarest obtient un poste à la cour de Philippe V d'Espagne, le petit-fils de Louis XIV. Hélas, l'Espagne entre peu de temps après dans une longue et coûteuse guerre de succession mettant aux prises notamment l'Angleterre, les Pays-Bas, la France et l'Autriche. En 1705, Philippe V est au bord du gouffre, son pays est tenaillé par les troupes ennemies, et les dépenses artistiques du royaume sont désormais inexistantes. Desmarest jouit toutefois de l'amitié et de la protection du roi, qui continue à lui verser une modeste pension.

Les grands motets Lorrains

Henry Desmarest
Henry Desmarest

Malgré ses mésaventures et son parcours erratique, Desmarest conserve de nombreuses amitiés au sein de la cour française : sa situation suscite à la fois de la pitié et de l'admiration. C'est ainsi qu'en avril 1707, par l'entremise d'un ami, il obtient un brevet de surintendant de la musique à Nancy, au sein de la cour du duc Léopold Ier de Lorraine. L'année suivante, le sieur de Saint-Gobert meurt, et Desmarest envoie plusieurs motets à ses amis, à la cour de Louis XIV. Début octobre 1712, le Mercure Galant relate ainsi l'anecdote suivante : « [on] fit exécuter aux messes les motets de Desmarest, sans en avertir [Sa Majesté]. Quoiqu'il y eût près de vingt ans que [le roi] ne les eût entendus, il les reconnut et en fit l'éloge : les princes et les seigneurs saisirent cette occasion pour demander à S. M. la grâce de Desmarest ; il leur répondit que personne n'y perdoit plus que lui, mais qu'il avoit juré de ne point donner de grâce pour le crime dont il étoit [accusé] et il les refusa… ».

Louis XIV reste ainsi inflexible jusqu'à sa mort en 1715, et ce n'est qu'en 1721 que le parlement de Paris et le régent Philippe d'Orléans gracient Desmarest.

À toute chose malheur est bon : la vie compliquée de Desmarest lui permit de voyager et de croiser de nombreux musiciens et compositeurs, ce que précisément Lully lui avait interdit en intervenant auprès de Louis XIV. En Espagne notamment, il prit goût à l'utilisation de certaines harmonies retorses et très inhabituelles dans la musique française. Il excella également dans la construction de contrepoints extrêmement sophistiqués, incluant des doubles chœurs, et des doubles et triples fugues de dimensions hors normes, rendant périlleuse l'exécution de ces œuvres !

Les Grands Motets Lorrains, composés à partir de 1707 à la cour du Duc Léopold Ier, révèlent toutes ces facettes du compositeur de grand talent que fut Desmarest. Il est enfin difficile de n'y pas voir une supplique adressée au roi de France, au travers des plus fameux artistes de la cour, amis de Desmarest, pour un retour en grâce : les psaumes choisis pour ces grands motets évoquent en effet tous la confusion, la tourmente, l'agitation ou le désarroi : le psaume 6, notamment, « Domine, ne in furore », se traduit par « Seigneur, ne me châtiez point dans votre colère ; donnez à votre bonté le temps de modérer votre vengeance ». L'appel à la clémence de Louis XIV est des plus explicites, et la musique de Desmarest souligne le texte avec une force dramatique considérable.